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Gregory Pons : L'interview post Baselworld - Le Guide des Montres

Gregory Pons : L'interview post Baselworld

Il y a des noms qui résonnent dans le milieu de l’horlogerie. C’est le cas de  l’incontournable Grégory Pons. Et lorsque deux Grégory,  chacun éditeur de site d’information horlogère, se rencontrent à Baselworld, tous les ingrédients étaient réunis pour lui soumettre quelques questions.

 

GB : À quand remontent tes débuts dans le web horloger ?

GP : J’ai créé la newsletter Business Montres & Joaillerie (papier) en 2004 : j’y poussais fortement les marques de montres à s’intéresser à Internet et aux forums, qui sentaient alors très fort le soufre. Un grand moment de solitude médiatique. En 2008, je me suis installé en Suisse pour relancer le site Worldtempus et j’ai dû abandonner provisoirement l’édition de cette lettre. Un an plus tard, l’incompétence managériale et l’incohérence stratégique des propriétaires du site m’apparaissait totale : le naufrage du projet de magazine Revolution allait le démontrer. Je croyais à la « révolution des contenus » et au web payant, quand ils rêvaient encore d’un modèle économique assis sur la publicité et au web payé par les marques. J’ai donc repris ma liberté, en songeant à relancer la newsletter, mais la « révolution des contenus » était lancée, et il aurait été absurde de recréer une lettre papier. J’ai donc commencé à mettre en place le site Business Montres comme un quotidien des montres en ligne, gratuit dans un premier temps, mais annoncé comme payant dans l’avenir : ce n’était pas à un éditeur indépendant d’essuyer les plâtres d’un modèle d’abonnement en ligne [les grands sites allaient ouvrir le marché à ma place] et mes missions de consulting auprès des marques suffisaient à me faire vivre. Le site a ensuite évolué vers un modèle payant, dont l’accès est réservé aux abonnés (avec 25 % d’articles en accès libre). Je crois toujours, plus que jamais, à la « révolution des contenus » et je trouve plus logique et plus loyal de faire payer ces contenus par les lecteurs plutôt que par les annonceurs. Business Montres, c’est toujours 0 % publicité et 100 % liberté...

 

GB : À qui s’adresse Business Montres ?

GP : Business Montres n’est pas un média grand public, mais un quotidien en ligne destiné à la communauté des professionnels de la montre et aux aficionados (pro-am) qui ont besoin d’informations privilégiées mais indépendantes sur l’industrie des montres, les marques et les hommes qui les animent. Business Montres n’a pas d’objectif en termes d’audience, mais de pertinence des contenus et d’influence sur la communauté horlogère. S’abonne qui veut [un euro par jour, c’est le prix d’un demi-café]. Ce qui n’empêche pas notre chaîne images sur Youtube (Business Montres Vision) d’avoir dépassé le million de « vues ». La vocation de ce quotidien en ligne – qui reste le seul, sans concurrence, dans le monde horloger – n’est pas de présenter des montres au poignet ou de diffuser des communiqués de presse émis par les marques : c’est de mettre l’actualité en perspective et de lui donner du sens. Les marques ne s’y trompent pas en souscrivant des abonnements groupés pour leurs dirigeants, notamment expatriés. C’est tout à l’honneur de notre indépendance et de notre consistance de voir les cadres du Swatch Group s’abonner individuellement, avec des pseudos d’emprunt, surtout depuis que Nick Hayek a émis un fatwa d’interdiction de tout abonnement à Business Montres. Son père, Nicolas Hayek, adorait nous lire. Le fils nous suit attentivement, mais il ne veut pas que ça se sache...

 

GB : Comment vois-tu l’avenir de l’horlogerie, notamment sur le web ?

GP : L’avenir de l’horlogerie ? Vaste sujet. Il y a cinq siècles qu’on fait des montres en Suisse et que cette industrie suisse résiste à tout, même à ses propres conneries – qui ne sont pas minces ! La Suisse – qui fait des montres depuis que les Français lui a appris à en faire – a successivement raté les multiples révolutions de la montre (la précision, le spiral, l’échappement, le chronomètre de marine, la standardisation, l’industrialisation, le quartz et même la globalisation, face à laquelle son appareil productif a dix ans de retard), mais elle s’est toujours relevée de ses cendres : il se passe quelque chose, ici, entre lacs et montagnes, au pied des Alpes, avec une affinité naturelle entre la main des hommes et leur art de mettre en scène le temps. Donc, même si la Suisse rate le virage des smartwatches, comme elle semble devoir le faire, l’industrie suisse survivra et prospérera, dans le monde physique comme sur Internet. Le web horloger est lui aussi en pleine mutation : les forums s’essoufflent, les blogs s’atomisent et les portails financés par les marques se décrédibilisent. Ce web n’en reste pas moins un accélérateur fantastique, soit pour diffuser encore plus de bullshit marketing (on achète aujourd’hui un blogueur pour une soucoupe de cacahuètes), soit pour répandre une vraie culture de l’authenticité horlogère (certains sites font un boulot fantastique). Donc, parce que tout semble aller mal (c’est mon pronostic pessimiste), tout ira beaucoup mieux demain (c’est mon côté actif, marqué par le tragique grec)...

 

GB : Combien de Baselworld à ton compteur personnel ?

GP : 2013 doit être ma quinzième édition. Je me souviens encore de mon émerveillement de jeune journaliste horloger (jeune par la récence de ma spécialisation, pas par l’âge) en découvrant le salon grâce à mon ami et complice de toujours Stephan Ciejka (La Revue des Montres), maître Jedi que son padawan ne remerciera jamais assez de l’avoir initié à cette drogue dure qu’est la montre. J’ai donc vécu la montée en gamme (dans le luxe) du salon, jusqu’aux fastes – probablement abusifs et contre-productifs – de l’édition 2013. J’ai aussi la fierté d’avoir réussi à convaincre la direction de Baselworld de mettre en place – dès 2009 (en pleine crise, ce n’était pas évident !) – une Watch Factory qui était l’embryon folklorique et bordélique – la première année, il y avait encore marqué « Cafeteria » à l’entrée – de ce qui allait devenir le Palace de Baselworld, melting pot désormais incontournable de la créativité horlogère worldwide...

 

GB : Une sélection des trois pièces marquantes de Baselworld 2013 ?

GP : Trois, ça ne va pas être facile comme podium, et ce sera forcément injuste ! Disons, en première place, une montre découverte sur place, mais hors vitrine, au poignet de Vianney Halter, qui nous revient des confins de la galaxie à avec une pièce époustouflante, la Deep Space Nine dont nous reparlerons  beaucoup dans un mois. Numéro deux : la MP-05 LaFerrari de Hublot, avec un Mathias (Buttet) déchaîné pour illustrer mécaniquement  et esthétiquement l’esprit refondateur des années 2000. Troisième position : le double tourbillon conceptuel à double échappement magnétique cuisiné par Herr Professor Guy Sémon chez TAG Heuer – si tous les profs de physique-chimie avaient eu son charisme, j’aurais peut-être réussi un bac scientifique. Mais j’aurais pu citer encore une bonne dizaine de montres qui méritaient le détour cette année, pour différentes bonnes raisons (Boucheron, Christophe Claret, Burberry, Ressence, Jacob & Co, Patek Philippe, Chanel, Nord Zeitmaschine, Jeanrichard, Bell & Ross)...

 

GB : Que portes-tu aujourd’hui au poignet ?

GP : Aujourd’hui, une De Bethune DB 24 sport en titane bleui : comme j’ai une matinée studieuse qui ne me fera guère bouger le poignet que pour manier la souris de mon Mac, j’ai réglé son mode de remontage en position rechargement intensif. Et je n’arrête pas de la regarder pour tenter de comprendre pourquoi elle est aussi fascinante de beauté...

 

GB : Que rêves-tu de porter ?

GP : Aujourd’hui, je rêverais de porter une autre des plus belles montres des salons 2013, la nouvelle Traveller de Laurent Ferrier, en tout point digne des meilleures montres à heures universelles de Patek Philippe, dont elle est visiblement l’héritière. Une montre à micro-rotor, d’une esthétique irréprochable, qui n’est cependant pas plus dans mes moyens que la De Bethune que je porte aujourd’hui. Comme tous les journalistes un peu honnêtes, je ne suis qu’un intellectuel précaire... Heureusement, j’ai plein d’amis dans les marques qui me prêtent – un jour, un mois, un an, ad libitum – des nouveautés et des prototypes qui renouvellent en permanence ma passion pour les montres et le plaisir de porter des pièces toujours différentes...

 

GB : Qu’est-ce que le luxe horloger aujourd’hui ?

GP : Pour moi, le luxe n’est plus désormais dans la possession, mais dans l’utilisation. Le luxe n’est pas dans la propriété de l’objet, mais dans sa disponibilité. C’est le triomphe de l’être sur l’avoir : c’est la victoire du savoir choisir sur le pouvoir acheter, que je laisse aux cadors bruyants du web horloger. J’ai cessé d’acheter et de collectionner – entasser ? – les montres il y a une bonne douzaine d’années. Au grand désespoir de mes dealers, puisque je n’arrive même pas à revendre la centaine de pièces qui me reste : je préfère les confier à des copines, qui adorent les montres vintage !

 

Grégory Blumenfeld

 

Crédits photos : Grégory Pons, BFM TV, Luc Virginius / Chronopassion, Laurent Ferrier

Florence Jacquinot (blog secrets of style) et Grégory Pons

De Bethune DB 24 Sport en Titane

 Laurent Ferrier Traveller


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